Quatre chantiers pour la renaissance de l’Europe

Quatre chantiers pour la renaissance de l’Europe

La fin de l’année 2017 pourrait bien marquer un tournant dans la période d’enlisement politique où l’Europe se complait depuis l’irruption de la mondialisation non régulée.
Deux facteurs se conjuguent pour offrir à l’Union européenne l’opportunité de se confirmer comme le pôle de stabilité de l’économie mondiale et le référent en termes de responsabilité environnementale et sociale.
D’une part, le changement des opinions publiques qui, en réaction aux incertitudes nées des populismes, du Brexit et de l’instabilité américaine, consacrent majoritairement la construction européenne comme levier essentiel pour gérer en commun nos priorités et développer un vouloir vivre ensemble non seulement en Europe, mais aussi avec notre voisinage oriental et méditerranéen.
D’autre part, la sortie enfin perceptible de la crise de 2008 où, à l’exception de la Grèce, on constate la maîtrise des risques financiers et le retour de la croissance économique (de surcroit, plus forte dans les pays du Sud que dans ceux du Nord).

Refonder le projet européen

L’élection en France d’un président ayant construit sa campagne sur la relance du projet européen et l’établissement d’une relation plus responsable et loyale entre le Etats membres illustre ces évolutions.
Pour permettre à l’Union de jouer son rôle, il convient de refonder le projet européen en tenant compte de deux enseignements révélés par la crise.
En premier lieu que l’Union européenne reste forte et attractive pour les peuples du monde en raison des choix d’avenir exigeants qu’elle s’est imposée et de sa capacité à mener ses politiques en autonomie du monde anglo-saxon.
En second lieu, que les préoccupations de nos concitoyens visent moins la performance économique, que l’exercice collectif des priorités régaliennes : protection du territoire, des personnes et des biens ; administration réussie des sécurités alimentaire, énergétique et hydrique ; gestion collective des transitions écologique et numérique, leviers majeurs de notre bien-être et de notre rayonnement international.

Conforter la crédibilité de l’Union

Aussi la refondation du projet européen devrait-elle se faire autour de quatre chantiers :

  • consolider la zone euro : depuis 2015, l’exécutif européen a posé les jalons d’une meilleure convergence des politiques économiques nationales et rappelé les enjeux de long terme que sont l’instauration d’un budget, d’un trésor et d’un ministre des Finances de la zone euro démocratiquement contrôlés. Dans une économie férocement compétitive et par nature conflictuelle, il convient d’entrer franchement dans la mise en œuvre de ces dispositions pour assurer la stabilité économique souhaitée par les peuples de l’Union.
  • restaurer la souveraineté budgétaire de l’Union : parce que les Etats membres n’ont pas voulu renforcer les « ressources propres » de l’Union qui se sont érodées au fil du temps, l’actuel budget de l’Union est financé à 73% par des contributions nationales calculées en fonction de la part de chaque pays dans le Revenu national brut européen (RNB)1, ce qui légitime les raisonnements de « juste retour financier » de la part des Etats ; d’autre part, parce que l’exécution des politiques européennes est décentralisée aux États membres, ceux-ci se réservent 80 % des crédits européens, préalloués pour sept ans. En se dotant de nouvelles ressources propres (que pourraient être une taxe sur les transactions financières ou un droit de douane écologique et social ou un impôt européen sur les grandes entreprises), l’Union mettrait fin au régime des contributions nationales et réduirait les querelles de juste retour ainsi que les pratiques de dumping fiscal qui séparent ses États membres. Par ailleurs, l’Union renforcerait sa participation à la lutte contre la fraude fiscale et pèserait pour la réalisation des engagements de la COP 21.
  • veiller à l’équilibre entre les instruments de politique économique et budgétaire : la tendance à la financiarisation de l’action publique européenne, illustrée par le développement des instruments de levier (tels le Plan Juncker), correspond à une modernisation bienvenue d’ailleurs pratiquée par beaucoup d’Etats membres ; cependant, il ne faudrait pas que cette évolution continue de se traduire par une baisse en volume des instruments budgétaires de solidarité tant interne à l’Union, qu’en soutien au développement des pays tiers, notamment du voisinage (Méditerranée, Balkans et Europe orientale).
  • conforter la crédibilité de l’Union par la gestion collective des mécanismes pouvant assurer ses sécurités internes et externes, ainsi que celles de son voisinage. Ces questions appellent la mise en œuvre effective d’une politique extérieure commune, la constitution progressive d’un pôle européen de défense et la révision de son offre politique à l’égard de ses voisins orientaux et méditerranéens. Les instruments sont disponibles depuis le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en octobre 2012 : qu’attendons-nous pour leur donner force et crédibilité ?

En Europe comme au niveau national, les citoyens attendent de la puissance étatique un récit et une perspective de l’action publique. C’est pour l’avoir ignoré que les gouvernants des 28 pays de l’Union ont placé celle-ci dans une situation d’extrême fragilité lors de l’explosion de la crise économique mondiale en 2008. Il n’est à présent plus temps de tergiverser !

1) Les recettes traditionnelles de l’Union (dites RPT) sont les droits de douanes perçus aux frontières extérieures, dont le volume a été considérablement réduit suite au désarmement douanier mondial, et la « ressource TVA » dont le montant a été bloqué à 1% des collectes des TVA nationales ; à présent, les RPT ne représentent plus que 25% des recettes du budget. Pour assurer l’équilibre, les Etats ont augmenté la contribution RNB qui est passée de 11% à plus de 70% du budget entre 1988 et 2016. Parallèlement, les Etats membres ont presque doublé les frais de perception des RPT facturés à l’Union.

Article publié par Econostrum en septembre 2017 et sur le blog du Huff-Post.

Henry Marty-Gauquié, directeur honoraire de la Banque européenne d’investissement (BEI), membre du groupe d’analyse JFC Conseil.

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